Mireille Spideman. Negatif. 2005
S’éterniser devant le malheur des autres lui aura servi de leçon, au moins pour un temps. Il s’efforce donc maintenant de s’extasier sur le bonheur. Face à son poste, il doit attendre. C’est long. Le bonheur semble plus rare, comme c’est étrange, ce serait à noter.
Celui ou celle qui présente la météo ou annonce les bons numéros du loto font certes plaisir à voir, ils sont épanouis, mais ce bonheur lui semble bien vite de façade, et d’ailleurs sans fondement : en quoi annoncer la pluie et des perdants en nombre considérable pourraient être source de bonheur. Question de salaire, pense-t-il.
Du bonheur, il passe donc à la bonne humeur, c’est à dire aux émissions chargées d’en délivrer. La bonne humeur est déjà une avancée, commençons par le début. De la bonne humeur, il y en a. Sauf qu’il ne comprend pas toujours de quoi il retourne : tout le monde s’esclaffe certes mais pour quelle raison ? Une plaisanterie graveleuse ? Une allusion à l’actualité ? Mais enfin, par politesse il s’esclaffe aussi, c’est un mondain. Il reste pourtant sur sa faim. La bonne humeur, il le pressent, n’est pas le bonheur et l’émission se termine en effet sans qu’il l’ait seulement entrevu. Le bonheur tel qu’il l’entend. Mais l’entend-il ? Y connaît-il quelque chose ? Non, rien que des on-dit, il en a conscience.
Diable.
Mais il est persévérant sous ses airs et voilà que le miracle se produit : il trouve enfin le bonheur sur son écran : les publicités où tout le monde est heureux. Une merveille. Des sourires partout, de la joie de vivre. Le bonheur gît donc là, dans les détails, dans l’ordinaire : un dentifrice, une lessive, une voiture, un rasoir, des choses pour les dames, voilà qui mériterait d’être noté mais, tout béat, il oublie. (Certes, comme dans la vie, quelques rabat-joie : donnez pour ceci pour cela, le cancer, le sida, offrez-lui une béquille, nourrissez les affamés, protégez la veuve, des empêcheurs de.)
Mais enfin, ici au moins, chacun semble lui adresser la parole à lui en particulier. Il répond. Il répond que oui ou que non. Aux belles jeunes femmes du poste, aux beaux jeunes hommes aussi, il promet de se brosser les dents, d’acheter cette voiture, ce fond de teint, cette crème contre les rides, de se raser de plus près, de se savonner sous les cocotiers, de maigrir, d’être jeune, d’être beau, d’être riche. Il s’en tient là, car la liqueur de verveine ayant fini par faire son effet, il s’endort sur son fauteuil.