Sa compagne du moment ayant exprimé l’ardent désir ou plutôt la ferme volonté d’avoir avec lui des rapports contre nature («contre», on ne voit pas bien ce qui pourrait être ici reproché à la nature, d’une façon générale tout d’abord, en ce qui concerne le sphincter ensuite qui demeure pour ainsi dire une petite merveille de technologie on n’a pas idée), on retrouve notre Depluloin* poussant la porte d’une pharmacie où il n’a pas ses habitudes - l’on en comprendra très vite la raison -, chargé d’une mission si délicate qu’elle n’est pas sans lui rappeler cette fois lointaine où seul son courage à deux mains lui avait permis de négocier sans syncope ni malaise particulier l’achat de son premier préservatif.
Depluloin patiente un peu puis, croyant à un sourire de la chance, s’avance bravement vers le pharmacien-chef qui est fort à propos de race masculine.
- Bonjour monsieur. Auriez-vous des poires à lavement?
- Bien sûr. Rectal ou vaginal?
- Pardon ?
- Rectal ou vaginal?
- C’est à dire... Accordez-moi un instant je me renseigne.
Malgré un certain réchauffement de son sang froid, Depluloin garde cependant assez de maîtrise de soi pour sortir son téléphone portable et faire mine d’engager une conversation avec l’horloge parlante. Ce qui donne à peu près ceci :
- Chérie, c’est moi. Dis-moi, la machine en question là... Rectale ou vagi... Ah? Très bien ! ... Moi aussi je t’aime. A tout de suite. Oui moi aussi j’ai hâte. Non, c’est toi qui raccroche la première ! .... Non, c’est toi ! ... Bon, je raccroche !
(Il était comme ça Depluloin, tout amour.)
Notre héros, donc, raccroche le premier. L’horloge selon toute vraisemblance en second. Puis, se tournant vers le mâle pharmacien :
- Rectal ! Pardonnez-moi, cela m’était sorti de l’esprit.
- Rectal. Je reviens...
Il revient en effet avec l’outil qu’il extrait d’un emballage sans doute conçu avant la deuxième guerre mondiale vu la sobriété du dessin et la qualité du carton. Consciencieux à l’excès, il en étale méticuleusement les différents composants devant son client. A savoir : primo la poire elle-même, secundo deux canules l’une destinée à un usage, l’autre à l’autre.
- Et si vous avez un doute, lisez donc le mode d’emploi. Ce sera tout ?
Non, visiblement non, car cette fois le sang-froid de Depluloin s’échauffe pour de bon, lui empourprant le visage au passage.
- Ce sera tout? Vous plaisantez ? Vous n’avez eu de cesse que d’insister lourdement, sans discrétion aucune, sur l’usage que je projetais de faire de cette poire à lavement. Et je m’aperçois qu’elle a été conçue, que dis-je pensée, pour un double usage, le lavement rectal et, j’insiste sur le «et», et le lavement vaginal. Alors je vous pose la question : Pourquoi ? Pourquoi tant de manières ? Pour m’humilier ? Me donner mauvaise conscience ? Apprenez cher Monsieur que je m’apprête de ce pas à honorer ma femme de la façon la plus dépravée qui soit, même que ça me colle dès à présent la trique ! Ça vous ira comme ça ? Et toi la vioque, tu veux ma photo ?
- Mais Monsieur, mais Monsieur !!
- Mais Monsieur rien du tout ! Combien vous dois-je ? Ah j’oubliais ! Et un tube de lubrifiant, et du meilleur ! Madame débute.
- Tout de suite, Monsieur. Tout de suite !
Cette histoire ne mériterait certainement pas d’être rapportée ici, ni ailleurs, si elle n’avait constitué comme une sorte de tournant dans la vie de Depluloin : cette brève altercation avec ce pharmacien lui procura en effet assez d’assurance pour qu'il cesse de s’excuser ou de demander pardon aux commerçants pendant une année au moins.
* Pour des raisons évidentes, tous les noms ont été changés.