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Lara cherchant l'inspiration en haut à gauche (de son point de vue)
Le mieux serait peut-être de faire ici comme chez nous deux, lui dis-je un jour, histoire de mettre fin à l’incertitude fondatrice. Elle a acquiescé tout en continuant de faire comme chez elle seule. Le serait-elle après tout, seule? Je veux dire : fondamentalement. Même en ma présence? Surtout en ma présence? Peut-être devrais-je la présenter à un autre pour voir s’ils font deux? ou couple? Et surtout si elle paraît moins seule? (Penser à demander à un voisin ou au facteur de se prêter à l’expérience.)
Ce sentiment, l’amour que j’éprouve pour elle, on m’a assuré, sans doute les voisins encore, qu’il était assez courant, voire assez répandu. Ça m’étonne un peu, sans quoi les gens ne vivraient plus. D’autres voisins, plus éloignés peut-être, donc moins concernés ou plus avisés comment savoir, semblent plus pessimistes : L’amour, cher voisin, pfff!! L’air de dire : vous voilà dans de beaux draps. Je ne sais qui croire. (Question à poser à ma Clara : jusqu’où s’étend le voisinage? son rayon? son périmètre? Les voisins de mes voisins sont-ils mes voisins?)
Pour sa part, l’amour ne semble pas l’inquiéter. D’ailleurs, elle ne veut même pas en entendre parler. C’est qu’elle fait preuve d’une grande prudence avec les mots. Pas moi. Dès que je peux en trouver un de dangereux ou de catastrophique, c’est plus fort que moi il faut que je le case quelque part.
Cependant ma soif de connaissance dans ce domaine très particulier de l’amour devint de jour en jour de plus en plus vive. J’en fis même une sorte de quête. Faute de promotions avantageuses, ce ne sont sont pourtant pas les revues qui manquent sur le sujet, je ne pouvais décidément m’adresser qu’à mes voisins. Et puis ça me promenait. Un jour que je posais la question à l’un d’entre eux, un voisin de mes voisins, par alliance donc ou issu de germain, il me fit cette réponse d’une traite : L’amour, mon cher, moins on en parle mieux ça vaut. Dans cette affaire rien ne vaut le silence, un sourire, une fleur, un dîner aux chandelles, et surtout la chose, très important la chose! Ne pas oublier de faire grimper Madame aux rideaux. Etes-vous bien membré au moins? Savez-vous vous en servir? Et les préliminaires! surtout ne pas négliger les préliminaires! Quelques mots coquins au passage! Et faites-la donc hurler bon sang! Qu’elle appelle sa mère! Prenez-la sauvagement! Faites parler la bête en vous! déchirez-la! Les femelles sont toutes des... des... toutes des... Il s’en tint là, comme soudainement assommé, essoufflé, le visage empourpré, les mains tremblant légèrement. Vu son état je n’osai le faire répéter car bien sûr je n’avais pas saisi la moitié de ses propos ni même eus le temps d’en noter quelques bribes. Pourtant mon instinct me dit que ce lointain voisin, si lointain que je fus incapable par la suite de retrouver son adresse, connaissait son sujet, le seul amoureux du quartier sûrement.
En chemin je tentai de faire parler la bête en moi. Mais je restai étrangement muet. La bête aussi. Je décidai de me rabattre sur cette histoire de rideaux, l’idée me paraissant plaisante. (Mais pas qu’elle appelle sa mère. Trop tôt. Pour cela nous verrions plus tard.)
De retour à la maison, je déclarai donc à ma Lara : Clara, ce soir je vous ferai grimper aux rideaux! Elle me regarda un peu surprise, puis souriant: Aux rideaux? Ce serait bien volontiers, encore faudrait-il que vous eussiez pensé à en installer! Et en effet, ce fut l’occasion pour moi de constater que mes fenêtres n’en comportaient pas, seulement de légers voilages, assez crasseux au demeurant, lesquels, de toute évidence, ne supporteraient pas son poids. Pour m’en convaincre, je me mis à y grimper moi-même, les essayant tous, et en effet pas un ne me supporta.
- Tiens! Vous vous êtes enfin décidé à ôter ces affreux voilages! me dit-elle en passant avec ce sourire qui me fait douter.