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4 décembre 2012 2 04 /12 /décembre /2012 17:52

Roland Hélié


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  Un matin, je fis la connaissance d’une étudiante, F... Très vite, je me mis à l’aimer. Il me semble que je n’y pouvais rien. Elle ne m’aimait pas. Un jour, elle demanda à venir travailler chez moi tout un week-end. J’acceptai. Le samedi soir, nous dormions dans le même lit, le mien. Je la désirais, elle se laissa faire. Tout d’un coup, elle me mord l’épaule, éclate en sanglots et me repousse violemment.

  Elle regrette mais ne m’aime pas, c’est une erreur. 

  Si j’avais été Apollinaire, j’aurais fait entrer Alexine Mangetout qui l’aurait ligotée. J’enculerais F... pendant que Mony de Vibescu la giflerait avec son vit pour finir par l’arroser de son beau foutre moldave. 

  Si j’avais été Bataille, j’aurais longuement uriné sur ses seins en soufflant fort. 

  Si j’avais été Bukowski, je n’aurais pas débandé. Je lui aurais flanqué des baffes, l’aurais baisée trois fois et me serais tiré en emportant la dernière bouteille de Bourbon. 

  Si j’avais été Faulkner, j’aurais convié un demeuré à l’enfoncer avec un épi de maïs. 

  Si j’avais été Lascault, j’aurais invité mes amis les Anges Bleus : Bill l’Aboyeur et Pierrot le Briseur de jambes, Joë, Joseph et Paul le Grand Etreigneur, puis François le Jargonneur et Mike l’Avaleur d’ombres qui, à ma demande, l’auraient violée, chacun leur tour et toute la nuit, sur l’air d’Un homme et une femme.

  {...}

  Si j’avais été Steinbeck, je lui aurais, en l’embrassant, brisé les vertèbres cervicales.

  Si j’avais été Aragon, Céline, Joyce ou Mishima, j’aurais sûrement fait quelque chose. 

  Seulement voilà. Je n’étais aucun de ceux-là. F... pleurait. Je l’ai laissée se rhabiller et composer le 67 58 10 10 pour appeler un taxi. Je ne sais plus en quelle saison nous étions, j’avais un peu froid.

      Roland Hélié. Place de Chine. Editions rue fromentin. 2011

 

 

 

Extraire d’un livre aussi dense, aussi fin, égal du début à la fin, un extrait plutôt qu’un autre relève de l’exploit pour l'éternnel indécis que je suis. D’autant que celui-ci, joyeusement érotique, peut laisser imaginer ce qui n’est pas. Place de Chine est un livre d'une rare élégance, dans lequel l'humour dissimule à peine la belle et profonde humanité de son auteur.

 


 


 

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20 octobre 2012 6 20 /10 /octobre /2012 12:04

 

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Copyright Lee Jeffries

 

 

  Debout au petit matin ce jour-là, j'étais jeune alors, dans un état, et dehors, ma mère pendue à la fenêtre en chemise de nuit pleurant et gesticulant. Beau matin frais, clair trop tôt comme si souvent, mais alors dans un état, très violent.

 

Samuel Beckett. Têtes-Mortes. Editions de Minuit.

 

 

 

 

 

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8 septembre 2012 6 08 /09 /septembre /2012 16:09

 

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  "Il n'a jamais été porté aux excès de boisson et ne s'est jamais mis en ribote, de sorte qu'on ne peut dire comment il serait, s'il s'enivrait par hasard."

 

André Gide. L'affaire Redureau. Folio. (Extrait du rapport des médecins-légistes)

 

 

 

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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 17:52

 

J’ai soixante ans passés. Je n’ai pas d’œuvre. Malgré tout je suis satisfait car peu auront eu ce rêve, ni l’auront vécu encore moins.

Depluloin

 


goethe

 

 

17 mai. 

J’ai fait des connaissances de tout genre, mais je n’ai pas encore trouvé de société. Je ne sais ce que je puis avoir d’attrayant  aux yeux des hommes ; ils me recherchent, ils s’attachent à moi, et j’éprouve toujours de la peine quand notre chemin nous fait aller ensemble, ne fût-ce que pour quelques instants. Si tu me demandes comment sont les gens de ce pays-ci, je te répondrai : Comme partout. L’espèce humaine est singulièrement uniforme. La plupart travaillent une grande partie du temps pour vivre, et le peu qu’il leur en reste de libre leur est tellement à charge, qu’ils cherchent tous les moyens possibles de s’en débarrasser. Ô destinée de l’homme !

Après tout, ce sont de bonnes gens. Quand je m’oublie quelquefois à jouir avec eux des plaisirs qui restent encore aux hommes, comme de s’amuser à causer avec cordialité autour d’une table bien servie, d’arranger une partie de promenade en voiture, ou un petit bal sans apprêts, tout cela produit sur moi le meilleur effet. Mais il ne faut pas qu’il me souvienne alors qu’il y a en moi d’autres facultés qui rouillent faute d’être employées, et que je dois cacher avec soin. Cette idée serre le cœur. – Et cependant n’être pas compris, c’est le sort de certains hommes.

22 mai.

{...}

Que chez les enfants tout soit irréflexion, c’est ce que tous les pédagogues ne cessent de répéter ; mais que les hommes faits soient de grands enfants qui se traînent  en chancelant sur ce globe, sans savoir non plus d’où ils viennent et où ils vont ; qu’ils n’aient point de but plus certain dans leurs actions, qu’on les gouverne de même avec du biscuit, des gâteaux et des verges, c’est ce que personne ne voudra croire ; et, à mon avis, il n’est point de vérité plus palpable.

Je t’accorde bien volontiers (car je sais ce que tu vas me dire) que ceux-là sont les plus heureux qui, comme les enfants, vivent au jour la journée, promènent leur poupée, l’habillent, la déshabillent, tournent avec respect devant le tiroir où la maman renferme ses dragées, et, quand elle leur en donne, les dévorent avec avidité, et se mettent à crier : Encore !...

 

GŒTHE . WERTHER.

 Traduction de Pierre Leroux. Avec une préface de George Sand. Paris, Victor Lecou et J. Hetzel et Cie., (s.d.)

 

 

«Prononcer le nom de Gœthe c’est évoquer le type du poète opposé aux démoniaques qui sera présent dans ce livre comme un symbole. Car non seulement en tant que naturaliste, en tant que géologue, mais aussi en art il a mis l’évolutif au-dessus de l’éruptif, il a combattu tout soubresaut, tout volcanisme avec une énergie dont il n’était pas prodigue. Et c’est là qu’il nous montre le mieux que pour lui aussi la lutte avec le démon a été le problème vital de son art. Car seul celui qui a rencontré le démon dans sa vie, qui a frémi devant son regard de méduse, qui s’est rendu compte du danger qu’il représentait, celui-là seul peut le craindre à ce point. Quelque part dans les fourrés de sa jeunesse Gœthe a dû se trouver face à face avec le monstre et c’est par sa création – Werther le prouve – qu’il a échappé au destin de Kleist et du Tasse, de Hölderlin et de Nietzsche ! {...} Il sait ce qui arrive quand on s’abandonne au démon, c’est pourquoi il se défend, c’est la raison pour laquelle il avertit vainement les autres : Gœthe emploie autant de force héroïque à se conserver que les démoniaques à se gaspiller. Pour lui aussi l’enjeu du combat est la liberté suprême : il lutte pour sa mesure contre la démesure, pour sa perfection et ceux-là pour l’infini.

Ce n’est que sous cet angle-là et non sous celui d’une rivalité (réelle, cependant, dans le vie) que j’ai opposé Gœthe aux trois poètes du démon : j’ai cru utile de recourir à une grande voix contraire pour que l’hymnique, le titanesque, la démesure que je vénère en la décrivant chez Kleist, Hölderlin et Nietzsche n’apparût pas comme l’art unique ou le plus sublime. »

 

Stefan Zweig.

Introduction au Combat avec le démon. Kleist, Hölderlin, Nietzsche.

 

 

 

 

 



 

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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 10:52

 

DECEMB-RE-2011 1108

(D. C.)

 

  Tous les gens que j’ai jamais entrevus de près ou de loin peuvent défiler à partir de maintenant, cela est évident. Il y aura peut-être même des femmes et des enfants, j’en ai aperçu aussi, ils auront tous à la main de quoi s’appuyer dessus et fouiller dans mes affaires, ils me frapperont tous d’un grand coup sur la tête pour commencer, puis ils passeront la journée à me regarder avec colère et dégoût. Il faudra que je refasse le questionnaire (*) de façon à ce qu’il soit applicable à tout un chacun. Il s’en trouvera peut-être un, un jour, oublieux de la consigne, pour me rendre mon bâton. Ou je pourrai peut-être en attraper un, une petite fille par exemple, et l’étrangler à moitié, que dis-je, aux trois quarts, pour qu’elle consente à me donner mon bâton, à me donner de la soupe, à vider mes vases, à m’embrasser, à me caresser, à me sourire, à me donner mon chapeau, à rester auprès de moi, à suivre le corbillard en pleurant dans son mouchoir, ce serait charmant. Je suis si bon au fond, si bon, comment ne s’en est-on pas aperçu ? Une petite fille ferait bien mon affaire, elle se déshabillerait devant moi, coucherait avec moi, n’aurait que moi, je pousserais le lit contre la porte pour l’empêcher de s’en aller, mais alors elle se jetterait par la fenêtre, quand on la saurait avec moi on apporterait de la soupe pour nous deux, je lui apprendrais l’amour et la détestation, elle ne m’oublierait jamais, je mourrais enchanté, elle me fermerait les yeux et me mettrait un tampon dans le cul, conformément à mes indications. Ne t’emballe pas Malone, ne t’emballe pas, charogne.

 Samuel Beckett. Malone meurt. Éditions de Minuit. 1951.

 

   Allons, Samuel. Tu ne pense pas ce que tu dis, tu l’as seulement écrit. Le mystère restera donc entier entre ce que tu as pensé et ce que tu as écrit. Cette « charogne » par exemple, l’as-tu réellement pensé ou l’as-tu écrit dans un grand éclat de rire ? L’un et l’autre, j’imagine : ces mots ne sortent pas de nulle part. Mais alors pourquoi ne garde-t-on de toi que ton sourire ? Pourquoi n’ose-t-on plus évoquer cette déréliction ? Pourquoi n’y croit-on pas, ne veut-on pas y croire, alors que tu n’as cessé de jouer avec elle ? Sans doute nous est-elle insupportable, elle l’est à vrai dire, elle nous gêne. Nous préférons l’éviter comme on évite ce corps affalé dans le caniveau. On regarde ailleurs, on s’efforce de penser à autre chose, on oublie de voir de qu’on a vu, de lire ce qui s’écrit là, à même le trottoir. On passe à côté. Au loin.

 

* Le questionnaire que Malone, après avoir reçu un coup de bâton sur la tête, projette d’adresser à son nouveau tortionnaire.

1) Qui êtes-vous ? 2) Que faites-vous ? 3) Que me voulez-vous ? 4) Cherchez-vous quelque chose de précis encore ? 5) Êtes-vous fâché ?  6) Vous ai-je fait quelque chose ? 7) Savez-vous quelque chose à mon sujet ? 8) Vous n’auriez pas dû me frapper. 9) Donnez-moi mon bâton. 10) Travaillez-vous pour votre compte ? 11) Sinon qui vous envoie ? 12) Remettez de l’ordre dans mes affaires. 13) Ma soupe pourquoi me l’a-t-on supprimée ? 14) Mes vases pour quels motifs ne les vide-t-on plus ? 15) Croyez-vous que j’en ai encore pour longtemps ? 16) Puis-je vous demander un service ? 17) Vos conditions seront les miennes. 18) Pourquoi vos chaussures sont-elles jaunes et où les avez-vous salies ainsi ? 19) N’auriez-vous pas un bout de crayon à me donner ? 20) Numérotez vos réponses. 21) Ne partez pas, j’ai encore des choses à vous demander. 22) Pourriez-vous me prêter une gomme élastique ?

 


 

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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 10:28

DECEMB-RE-2011 1874

 

... On raconte qu’en observant à divers moments du jour et de la nuit, on pouvait – à force de concentration – discerner d’imperceptibles changements.

N’importe quel observateur aurait certainement pu remarquer une ombre qui faisait de temps en temps une sorte de grand écart pour s’orienter toujours dans la même direction – avant de regagner l’itinéraire connu.

Plus tard, il aurait pu intituler ça Préparatifs de traversée ou Quelle est cette forme qu’on aperçoit ? ou encore Pour quoi prend-on cette forme quand on l’aperçoit !

        ... Plus tard encore, à force de concentration, ce même observateur aurait pu constater à différents moments de la nuit d’infimes changements. Il aurait pu remarquer que cette ombre faisait une sorte de grand écart pour regarder derrière elle.

  ... D’après les empreintes relevées dans le sable on a pensé que cet animal se déplaçait curieusement par deux et au moins un comme s’il avait été seul. 

... On a pu reconstituer d’après ces mêmes empreintes des mouvements évoquant une nage – à deux – dans le sable.

  ... On en a déduit qu’il avait une mauvaise vue ou le regard perdu ou encore que l’un regardait pour l’autre et qu’il ne pouvait rien trouver tout seul. On a déduit de la même façon qu’il aimait sans doute regarder la mer en haut des arbres et qu’il y mettait le feu lorsqu’il ne savait plus descendre.

... Il y a eu de si nombreuses hypothèses. On a pensé qu’il pouvait manger sur les rochers à condition de retenir sa respiration et de s’arroser sans cesse. On a dit qu’il n’avait qu’un poumon et qu’il aimait bien se réchauffer devant les restes d’un feu. On a imaginé pour expliquer certains itinéraires qu’il revenait sur ses pas pour rapporter des choses des endroits qu’il connaissait. On a admis que ses moyens défensifs étaient extrêmement réduits et qu’il lui était impossible de fuir rapidement s’il ne s’y était  pas longtemps préparé à l’avance.

... Finalement, on a conclu qu’il ne pouvait pas vivre dans la réalité.

 

Pascale Petit. Nous devons attendre que le jour se lève. 1998. (Extrait.)

(Disponible sur publie.net)

 

 

 

Pascale Petit voudra bien m’en excuser : le petit texte qui devait accompagner cet extrait, m’a filé entre les doigts, mon ordinateur devenant  une sorte de passoire, à moins que ça ne soit mon cerveau. 

A ce sujet, mais vous l’aurez probablement remarqué, il me devient de plus en plus difficile voire acrobatique de tenir ce blog comme je le faisais auparavant, avec une certaine régularité. Les prochains billets, s’il y en a, arriveront donc comme ils pourront, en ordre dispersé. Ce, pour des raisons techniques avant tout, mais aussi sans doute parce que le cœur n’y est plus vraiment, malgré le large soutien que vous m’avez toujours apporté (Hu ! hu !).

 

 

 

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 23:29

OCTOBRE-2011 4548

 

 

    Tous les gens que j’ai jamais entrevus de près ou de loin peuvent défiler à partir de maintenant, cela est évident. Il y aura peut-être même des femmes et des enfants, j’en ai aperçu aussi, ils auront tous à la main de quoi s’appuyer dessus et fouiller dans mes affaires, ils me frapperont tous d’un grand coup sur la tête pour commencer, puis ils passeront la journée à me regarder avec colère et dégoût. Il faudra que je refasse le questionnaire (*) de façon à ce qu’il soit applicable à tout un chacun. Il s’en trouvera peut-être un, un jour, oublieux de la consigne, pour me rendre mon bâton. Ou je pourrai peut-être en attraper un, une petite fille par exemple, et l’étrangler à moitié, que dis-je, aux trois quarts, pour qu’elle consente à me donner mon bâton, à me donner de la soupe, à vider mes vases, à m’embrasser, à me caresser, à me sourire, à me donner mon chapeau, à rester auprès de moi, à suivre le corbillard en pleurant dans son mouchoir, ce serait charmant. Je suis si bon au fond, si bon, comment ne s’en est-on pas aperçu ? Une petite fille ferait bien mon affaire, elle se déshabillerait devant moi, coucherait avec moi, n’aurait que moi, je pousserais le lit contre la porte pour l’empêcher de s’en aller, mais alors elle se jetterait par la fenêtre, quand on la saurait avec moi on apporterait de la soupe pour nous deux, je lui apprendrais l’amour et la détestation, elle ne m’oublierait jamais, je mourrais enchanté, elle me fermerait les yeux et me mettrait un tampon dans le cul, conformément à mes indications. Ne t’emballe pas Malone, ne t’emballe pas, charogne.

 

Samuel Beckett. Malone meurt. Les Éditions de Minuit. 1951. (pages 165 et 166)

 

 

 

Quelle prétention, je croyais connaître l’œuvre de Samuel Beckett à peu près par cœur. Du moins sa fameuse trilogie et quelques autres des textes qui ont suivi. Ce qui me donnait une telle assurance, c’était cette façon de le relire – de façon de plus en plus espacée ces dix dernières années, pour ne pas dire que je le fuyais -, en étant capable d’anticiper la phrase suivante.

Relisant « Malone meurt » donc, le seul livre de lui que je possède encore (avec tous ceux de mes ami(e)s auteurs qui m’ont fait ce cadeau de me donner une dédicace : Philippe Annocque, Didier da Silva, Pascale Petit, Frédérique Martin, Pascale Aguédas, François Matton… j’espère n’en avoir pas en oubliés), je suis encore surpris. Par exemple, en tombant sur ce passage que j’avais oublié ou occulté. Sans doute occulté. Aujourd’hui, cela vaudrait bien des critiques, voire des ennuis à un auteur, ces relents de pédophilie. Et dans un premier temps, oui, j’ai été non pas choqué mais surpris. Très surpris. Je ne me souvenais pas que Beckett s’en soit jamais pris aux enfants de manière si crue. La sexualité chez lui était toujours dérisoire, absurde, comique. (Voir dans ce même livre, les amours du héros avec l’une des infirmières ou pensionnaires, de quoi s’étrangler d’un rire horrible, absolument horrible.) Peut-être fais-je trop grand cas de ce passage que j’ai qualifié de pédophile, je vous laisse juger, sachant que l’époque autorisait ces écarts, et que la littérature autorise quand elle est aussi immense. Sachant aussi que Beckett est ici tel qu’en lui-même : sans pitié pour personne et surtout pas pour lui.

Et puis, essayant d’y réfléchir - mais j’ai bien du mal ces derniers temps, donc les énormités peuvent tomber drues, je préfère avertir -, je me suis vite remis en tête cette dégradation de soi, cette quasi automutilation, ce masochisme, qui a été, très vulgairement parlant, le fond de commerce de Beckett, et plus certainement encore son salut. Samuel Beckett ne s’est jamais épargné, avec une constance qui fait froid dans le dos, il n’a jamais cessé d’assassiner en lui l’homme bon qu’il était – et dont il parle, là, très curieusement. Comment supporter une telle souffrance, la sienne, sans avoir recours à cet assassinat de soi ? Cet épisode unique me semble-t-il, cette séquence crument pédophile, constituerait un pic dans cette démarche. Je sais : à prendre cet épisode trop au sérieux, ce serait oublier l’humour de Beckett. Mais d’ordinaire chez lui, la sexualité est réduite au pire de la misère. On se souvient de Premier amour, ou ailleurs, du « grattage » supérieure à la masturbation (où ?)

Mais après tout peut-être est-ce moi qui m’évertue à mettre l’accent sur cet épisode ? Episode que Beckett n’aurait sans doute pas jugé à ce point si scandaleux ni trivial. Sûrement le revendiquerait-il encore. 

De l’art de faire parler les morts. 

 

* Le questionnaire adressé à son nouveau tortionnaire, que Malone, après avoir reçu un coup sur la tête, écrit sur un page arrachée à son cahier.

 

1) Qui êtes-vous ? 2) Que faites-vous ? 3) Que me voulez-vous ? 4) Cherchez-vous quelque chose de précis encore ? 5) Êtes-vous fâché ?  6) Vous ai-je fait quelque chose ? 7) Savez-vous quelque chose à mon sujet ? 8) Vous n’auriez pas dû me frapper. 9) Donnez-moi mon bâton. 10) Travaillez-vous pour votre compte ? 11) Sinon qui vous envoie ? 12) Remettez de l’ordre dans mes affaires. 13) Ma soupe pourquoi me l’a-t-on supprimée ? 14 Mes vas pour quels motifs ne les vide-t-on plus ? 15) Croyez-vous que j’en ai encore pour longtemps ? 16) Puis-je vous demander un service ? 17) Vos conditions seront les miennes. 18) Pourquoi vos chaussures sont-elles jaunes et où les avez-vous salies ainsi ? 19) N’auriez-vous pas un bout de crayon à me donner ? 20) Numérotez vos réponses. 21) Ne partez pas, j’ai encore des choses à vous demander.

 


 

 

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20 octobre 2011 4 20 /10 /octobre /2011 17:00

 

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   Heureuse époque, celle qui a précédé de peu la « Belle », où l’on si fichait pas mal de la publicité. Quoi que l’illustre Nicolo Tommaseo, je me demande s’il en a vendu tant que ça de ses Dizionarios (dizionarii ?), voilà qui serait tout de même étonnant. 

   Aujourd’hui, évidemment il y aurait toute une armée de relookeurs pour lui donner un air plus avenant, plus approprié au commerce surtout. Ajoutez à cela deux longues nuits sur photoshop, et le voilà tout pimpant son Nicolo, pétant le feu comme jamais. Car sur cette gravure rien ne vient prouver qu’il n’est pas décédé ou en voie de l’être. Ou alors ces séances de pose étant d’un tel ennui qu’il roupille le brave, d’un œil seulement notez bien.


 

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P.S.: De fait, si vous lisez l’italien aussi bien que moi, vous aurez compris que l’illustre Tommaseo est mort au moment où paraît cette nouvelle édition. L’éditeur, s’avisant un peu tard que la santé de son auteur devenait chancelante, aura donc jugé urgent de lui faire tirer le portrait. Quelle leçon en tirer ? Celle qu’ont retenue tous les artistes, écrivains ou comédiens : conserver précieusement les photos de leurs débuts.

 

 


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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 18:07

Sur Le Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa

  (par Anne Longuet Marx)


 

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« Vous partez ? Vous passez : c’est tout. »*

La décision est là, toute crue ; ce que fait défaut sera remisé ; ce qui appelle le mouvement du désir sera fixé dans un décor, la dépendance se décroche du cœur, lequel va passer maître « ès indifférence ». L’auteur ? Jean Seul qui nous rappelle cette autre maxime d’un autre hétéronyme, Ricardo Reis, poète et disciple : « Abdique et sois roi de toi seul. »

J’annonce le programme de Bernardo Soares, auteur hétéronyme de cette étrange somme qui compose Le livre de l’intranquillité, {….} Cette somme est le journal d’un homme qui déclare vouloir être tout sauf la vie, et qui se donne pour devise celle-là même que Freud, la même année 1915, reprend dans « Notre rapport à la mort » : navigare necesse est, vivere non cesse ». Devise de la Hanse, nous dit Freud, qu’il commente ainsi : il faut chercher dans le monde de la fiction un substitut aux pertes inhérentes de la vie ; devise des Argonautes nous dit Soares : il est nécessaire de naviguer, mais non de vivre.

Le Livre de l’intranquillité traite de la question de l’endurance de la conscience. J’aimerais tenter de définir ce qui s’y joue de neuf quant à la question de la mélancolie. Car il y a bien dénégation de quelque chose – de la chose – mais dans une modalité tout à fait étonnante parce que faisant sa part à l’éthique du bien-dire, elle nous conduit d’une écriture sans corps au corps de la langue comme nous ne l’avons jamais vue, jamais ouïe devrais–je dire. Ce que je voudrais examiner, c’est l’art de la mise à nu de la langue, qui est plus que la mariée, l’inouï étant probablement ici plus près de la mise à nu que de la parure.

Mon hypothèse donc sera celle-ci : comment la dénégation du corps, symptôme du mélancolique, conduit à un art de la mise à nu. Autrement dit : comment le corps réapparaît, s’incarne dans la langue.

{…}

Soares écrit : « Mon isolement n’est pas une quête du bonheur, que je n’ai pas le courage de rechercher ; ni de la tranquillité que nul homme ne peut obtenir, sauf à l’heure où il ne pourra plus la perdre – mais de sommeil et d’effacement, de modeste renoncement ». Les quatre murs de cette chambre lui sont à la fois cellule et distance, l’espace d’où il « savoure sans amertume la conscience absurde de n’être rien, l’avant-goût de la mort et de la disparition ».

{…}

On retrouve immédiatement les traits caractéristiques que la clinique répertorie. Je reprends les éléments relevés par Jacques Hassoun : ni mortel, ni immortel, le mélancolique est pris dans une survivance immobile (je continue de perdurer, j’endure, car ça dure et ça insiste dans la blessure) ; son appétit est féroce ; il est le fossoyeur de sa propre histoire et son propre geôlier, à ce titre hors d’atteinte, son adresse de discours est perdu dans les limbes. Enfin il ne peut susciter que des narrations sans fiction, « tant il semble manquer à l’endroit même de ses écrits qui sont pris dans un ressassement infini, ce qui donne à l’écriture sa gravité : la marge. »

 

* « Vous partez Madame ?

Pourquoi ce cœur indifférent bat-il si vite ?

Vous partez ? Vous passez : c’est tout

A souhait je pourrais en sourire

J’en puis à souhait même rie

Pourquoi en souffrir, et surtout Pourquoi le dire ? »

 

Extrait d’un article de Anne Longuet Marx, « L’Étal de la vie. Sur le Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa. », paru dans LE NOUVEAU RECUEIL Juin-Aout 1998 (Champ Vallon).

 

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10 août 2011 3 10 /08 /août /2011 18:04

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  Dommage, à un jour près, j’avais l’illustration idoine pour mon billet précédent. Cette photo de Robert Pinget, photo dont j’ignorais bien sûr l’existence, avouez qu’elle eût été parfaite. Trop peut-être, confondant le personnage avec l'auteur, même si cette confusion Pinget ne l’aurait probablement pas entièrement rejetée. (Monsieur songe, par exemple, c’est moi, aurait-il pu dire - et peut-être l’a-t-il dit.)


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  Et je retrouve aussi cette carte postale échappée de mon exemplaire de Quelqu’un, cette carte que les plus anciens lecteurs des Editions de Minuit connaissent bien, elle servaient surtout de marque-pages, c’était d’un pratique. Je crois me souvenir qu’elles ont été différentes à une certaine époque. Au verso, l’éditeur demandait au lecteur ses centres d’intérêts sous la forme d’une liste impressionnante : Philosophie, Littérature, Psychanalyse, Critique littéraire, Essais, Histoire, et j’en oublie. Bien sûr le client avait droit à plusieurs choix puisqu’il n’était pas censé être borné. Je me souviens donc d’y avoir répondu en cochant à peu près toutes les cases. Cependant, même si ça me posait un peu là cet éclectisme, cela faisait tout de même beaucoup pour mon jeune cerveau (pour le vieux aussi), et je doute d’avoir osé l’expédier.


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  Celle-ci est différente puisqu’elle s’adresse directement aux lecteurs de Pinget. Je vous laisse imaginer la même concernant Beckett ou Claude Simon : La lecture de ce livre vous a-t-elle plus – déçu ? Pourquoi ? (Avec, au passage, une belle faute me semble-t-il, que c’est rassurant!)

  Une bonne nouvelle pour finir, la seule sans doute qu’on puisse trouver en ce moment dans les journaux - Libération en l’occurrence : Irène Lindon travaillerait à la publication de la correspondance de son père avec Beckett. Au conditionnel.

 

 


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