A des fois je me dis que si j’étais dessinateur je dessinerais et je gagnerais bien ma vie. Un coin de table, du papier, un crayon, l’investissement n’est pas si déraisonnable, et vas-y comme je te pousse je te pondrais des trucs.
Ce serait confortable en somme.
A d’autre fois je me dis que non je ne gagnerais pas ma vie en dessinant parce que je ne sais pas dessiner. (Si je sais dessiner ma maison qui n’existe pas avec papa maman dans le jardin, papa est plus grand que maman, c’est normal, mes frères et sœurs, lesquelles sont toutes ébouriffées allez savoir pourquoi, et le chien - qui est bien coiffé lui. Moi je m’oublie toujours mais c’est assez normal puisque c’est moi qui dessine et que je ne peux pas faire deux choses à la fois (déjà une seule c’est pas facile : dessiner et poser pour moi dans le jardin.))
(Aujourd’hui c’est plus simple j’ai moins à dessiner : papa et maman sont plus là, sont au ciel à ce qu’on dit, mon chien bien coiffé non plus (pour lui je mets une petite croix plantée dans le jardin où il est enterré au fond à droite, il est pas au ciel lui le pauvre), mes sœurs sont si vilaines qu’elles valent pas le coup, je les efface, quant à mon frère, je le punis, l’est pas très gentil non plus, je l’enferme donc dans sa chambre avec les volets fermés ça lui apprendra et comme ça on ne le voit pas et donc ça en moins aussi à dessiner. Donc, y a plus personne dans le jardin. C’est pas plus mal. Ça use beaucoup mon vert pour l’herbe mais l’herbe quand on a pris le coup, c’est facile. (Et je m’aperçois que si tout le monde était mort, sauf moi bien sûr, moi je ne veux pas, et si le jardinier avait enterré tout ce monde-là dans le jardin comme il l’a fait pour le chien, j’aurais pu rajouter plein de petites croix sur le gazon, ça c’est facile, je sais faire les petites croix, et j’aime ça en plus dessiner des petites croix.)
Je pourrais y être moi tout seul sur le dessin, dans le jardin, un doigt dans le nez par exemple, ça ferait plus vivant le doigt dans le nez, mais puisque je dessine il n’y a décidément personne dans le jardin. C’est sinistre. Donc j’essaie de dessiner des oiseaux mais c’est compliqué. Ce serait assez commode qu’ils restent cachés dans les feuillages de l’arbre à gauche mais malheureusement ils volent c’est assez normal. Je dois donc les dessiner volants c’est presque obligé. (Autrefois je savais aussi dessiner les taupes et les chats, ils se ressemblaient tellement ceux-là que j’étais obligé de mettre le chat sur le toit, on devinait alors que c’était un chat puisqu’on n’a jamais vu une taupe sur un toit je crois bien.)
(Autrefois encore je dessinais ma maison au bord de la mer mais, si je réussissais à peu près la maison, j’ai toujours raté la mer et la plage en beauté. La mer était bleue certes mais dès qu’elle touchait le sable jaune, c’est à dire souvent, elle devenait aussitôt verte, ça m’agaçait au plus haut point ce mystère. J’avais beau recommencer vingt trente fois, le phénomène se reproduisait régulièrement. J’ai fini par peindre des mers vertes que j’appelais alors des lacs, des étangs ou, dans les grands moments de détresse, des mares - mais là surgissait la difficulté du canard, pas facile le canard.)
A d’autres fois je me dis que si j’étais musicien.
N’en parlons plus.