D’être chez lui l’apaise, c’est certain, surtout quand il revient d’une de ses expéditions en ville (le pain, le journal, le médecin). Il s’y sent à l’abri, pour ainsi dire intouchable, et quasiment invisible, même de sa concierge depuis qu'il a pris le parti d’être sourd.
Malgré tout, cette belle assurance s’érode parfois. Notamment lorsque, tandis qu'il se délecte devant son poste de télévision du malheur des autres (rien ne le conforte plus dans son choix de vie comme on dit que d’assister à des catastrophes lointaines : tremblements de terre, inondations, tsunamis, sécheresses, famines, centrale nucléaire en perdition, camping ravagé, le choix est assez vaste pour lui offrir son petit moment de bonheur quotidien), il se sent soudain comme extrêmement concerné après tout. Et le doute s’installe peu à peu. Est-il autant à l’abri qu'il se l’imagine ?
En y pensant il s’aperçoit qu'il en faut peu pour chambouler sa petite vie : des plaques tectoniques mal placées qui se battraient en duel pile sous son plancher, un météorite qu’il n’aurait pas vu venir, une vague géante qui remontrait la Seine Dieu sait comment ni pourquoi. Il s’aperçoit qu’il n’est à l’abri de rien, impuissant et nu face à la menace des éléments. Il pense même, je suis à la merci de tout.
Il se voit précaire soudain, comme s’il avait besoin de ça, et surtout mortel.
Angoisse.
Se réfugier sous son bureau. Les gestes qui sauvent (entendre : qui le sauvent lui).
Il aperçoit déjà ces files de malheureux arpentant sa rue. Tout le monde en slip, lui surtout, le ridicule ne tue pas mais en ce qui le concerne, oui, ça le tuerait. Il s’imagine là, hagard, couvert de gravats, une cuvette en plastique sur la tête (pour quel usage ?), sa concierge épargnée on ne sait par quel miracle, se pavanant en limousine, lui faisant un bras d’honneur au passage, son salaud de fils un pied de nez. La croix rouge, le gymnase, la misère, et son chez lui cramé, dévasté par la lave en fusion, son chez lui très loin derrière lui déjà.
Un cognac, et ça le fera.