Il a hésité avant de venir s'asseoir à côté de moi, son fusil calé entre ses jambes. Il a essayé de me regarder, rapidement, mais sans y parvenir vraiment - de toute evidence, ses yeux blancs ne parvenaient plus à fabriquer un regard, ils semblaient fuir tout ce qui était vivant pour ne s’intéresser qu’à ce pourquoi il était là : tuer, et peut-être survivre aussi mais ce n’est pas sûr -, et il a fini par me dire, tout en vérifiant qu’il était encore là, du moins c’est l’impression que j’ai eue en voyant sa main parcourir presque distraitement ses jambes et ses bras, ses épaules : Toi, tu n’as pas une tête à finir sous les décombres.
Je n’ai pas répondu. Je n’étais pas sûre. C’est à peine si j’entendais des gens crier sous les ruines de ma maison. Incapable de dire s’il s’agissait de ma mère ou de la voisine, ou de mes frères, ou de mes sœurs. Ce genre de catastrophe vous donne la même voix, j'imagine, une voix unique, pareille à toutes celles des emmurés vivants. (Mon père était déjà mort depuis longtemps donc il n’était pas mort, ça m’a soulagée.)
Il a continue. Et plus il parlait, plus je savais qu’il ne me parlait pas puisque j'étais plus là.
… tu as de la famille dans le coin? … elle est jolie ta poupée… non, elle est pas jolie, elle est… non, elle est pas jolie… elle est… elle fait chier ta poupée… elle est habillée comme toi… Non, mais regarde-moi ça..vous allies à la messe ou quoi? … Tu aurais dû rester là-dessous… avec le reste de ta… une fois je suis resté coincé… j’ai craché de la boue pendant deux jours…
Après je ne sais plus. A un moment il s’est arête. Il m’a paru hesiter puis il a pose ses deux mains sur le canon de son fusil, puis il a pose sont front sur le dos de sa main, et il n’a plus rien dit. Alors j’ai attend. Et puis, j’ai avancé ma main lentement, j’avais peur qu’il me surprenne. Mon doigt a enfin trouvé la détente. Sa tête a fait un petit bond en l’air avant de retomber en avant. Il s’est mis à pleuvoir du sang. Pas longtemps mais c’était comme un orage.
(Brouillon daté du 22/08/2012)
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