Il y a peu encore je croyais les bancs publics réservés exclusivement aux vieillards et aux désœuvrés[1]. S’asseoir là pour attendre Dieu sait quoi avait pour moi quelque chose de socialement dégradant. Sauf à tenter de se donner une contenance en faisant semblant de lire ou de dessiner, le message adressé me paraissait clair : Voyez, je suis là pour voir passer le temps car je n’ai rien de mieux à faire, je suis seul et inutile, encore heureux que la société me permette de me poser là quasiment gratuitement, je n’ai qu’à bien me tenir.
Voilà très exactement ce que je pensais. Avoir si mauvais esprit est l’une de mes rares qualités car, la paresse aidant, je sais d’expérience que posséder un esprit étriqué permet de réfléchir plus vite, vu l’étroitesse de l’espace, et qu’ainsi les conclusions, toutes sujettes à caution mais qu’importe, arrivent d’autant plus rapidement, quel gain de temps avouez.
Tout ceci, c’était avant. Du temps de ma jeunesse. Mais voilà que l’autre jour, je suis devenu vieux d’une seconde à l’autre : le temps de poser mes fesses sur l’un de ces bancs et ce avec un naturel et une aisance qui m'autorisent à penser que je devais être vieux bien avant cet acte fondateur. D’autant que contrairement à ce que je redoutais le choc psychologique n’a pas été si rude. A dire vrai, je me suis senti immédiatement à ma place. Il n’y a pas de mots, et je dois avouer que cela m’arrange, pour décrire l’état de béatitude, d’hébétude plutôt, qui s’empare de vous dès lors que vous vous posez sur un banc. Il ne se passe rien, c’est heureux, car l’on a vite fait de se désintéresser de tout, des pigeons, des passants, des enfants qui s’emploient à soulever la poussière, et c’est à peine si vous jetez un œil sur un collègue assis à quelques mètres de là, tout aussi abruti que vous qui débutez pourtant.
[1] Certes, on pourra toujours objecter que les amoureux les utilisent volontiers pour mieux se mentir. Mais la mode semble avoir passé. Aux bancs publics, ces voyous préfèrent les pelouses interdites où la position allongée autorise des mensonges plus énormes encore tout en favorisant certains attouchements.