Elle avait fière allure ma maman sur cette photo. Puisque pose il y avait - mon père utilisant toujours, et encore bien des années plus tard, son vieux Zeiss à soufflet -, autant qu'elle soit avantageuse.
Avantageuse parce que de mon côté je garde un tout autre souvenir de cette période faste durant laquelle mes parents participaient à des concours hippiques ou s’offraient de longues promenades sur les immenses plages situées de l’est de la ville. (Et ce souvenir dut être assez traumatisant pour m’empêcher par la suite de tenir plus de vingt secondes sur le dos d’un cheval et me donner assez tôt de ces bestiaux une idée bien à moi que je partage depuis.)
Ce jour-là donc, j’entends des hurlements résonner à travers toute la maison et bien au-delà. Ma mère, je le comprends aussitôt, est en train de hurler de douleur. Je me précipite jusque dans le hall du premier étage et je l’aperçois en effet assise dans un fauteuil, cramponnée aux accoudoirs, le visage déformée par une souffrance qui paraît intolérable. Une de ses jambes est restée prisonnière de la botte. Le tire-botte s’étant apparemment avéré inefficace, mon père est là, empressé et fermement déterminé, tirant de toutes ses forces, tentant plusieurs manœuvres qui semblent toutes plus dangereuses les unes que les autres. Mère grimace de douleur, hurle encore et encore. Je reste là, impuissant, ne sachant qui je dois assommer le premier : mon père pour qu’il cesse ce supplice, ma mère pour abréger ses souffrances. Auquel des deux accorder la vie sauve? Choix impossible, cornélien, et pour tout dire œdipien comme c’est pas possible.
Je suis déjà dans la chambre en train de fouiller dans le placard où mon père entrepose ses armes et là encore j’ai l’embarras du choix car il est encore à l’époque réserviste et chasseur d’occasion. J’hésite, perdant de précieuses secondes, m’interroge sur le calibre idoine, pèse le pour et le contre entre le colt 11.43 et le fusil à éléphant, lorsque le silence se fait soudain dans le hall…
Puis j’entends soudain: « Oh merci Pierre ! … Oh Pierre, j’ai cru mourir ! » En effet, maman n’était pas passée loin mais elle ne le sut jamais. Papa non plus d’ailleurs car entre-temps, dans le doute, j’avais tranché : ce serait les deux.