... et casse l'ambiance.
Après la douche, il va se poster à la fenêtre. Là, il peut rester des heures à observer la rue à travers les lames du store.
Les premiers temps, j’ai cru qu’il agissait comme il m’arrive moi-même de le faire certains matins incertains où je vais à la fenêtre pour tâter le ciel, la température extérieure, ou l’humeur des humains déjà en route. Ceci afin de m’équiper en conséquence : le cœur, la raison, et les vêtements de saison.
Pour lui, c’est différent. Il donne l’impression de guetter tout autre chose. Autre chose de plus important, de bien plus essentiel.
Avec l’habitude, j’ai remarqué qu’il attendait que surgisse quelque chose comme un événement, une animation du monde. Qu’il attendait que quelque chose lui fasse signe d’en bas dans la rue. Que quelque chose en bas dans la rue fasse preuve de vie. Lui donne une preuve de vie. Comme s’il se posait intérieurement ces questions : est-ce que ça vit? et comment? et pourquoi? Je lui prête, peut-être à tort, une âme de philosophe.
Parfois, une voiture qui tente un créneau lui suffit. Ou deux voisins qui bavardent sur le pas de leur porte. Ou encore le balayeur municipal qui s’interrompt un instant pour rallumer son mégot avant de reprendre son travail, griffant de nouveau mollement le trottoir d’un long et large coup de balai.
Lorsqu’il ne se passe rien – j’habite, heureusement, une rue calme - il continue d’attendre, semblant au contraire apprécier ces courtes poses dans l’activité humaine.
A force de patience, j’ai fini par lui faire accepter de nouer une serviette autour de ses reins. Je pensais que ce simple accessoire le déciderait à s’habiller, à sortir, à vivre. Mais jusqu’à aujourd’hui, c’est bien là la seule concession qu’il ait bien daignée m’accorder.
Je ne lui en veux pas : après tout, moi aussi il m’arrive certains matins de rester à ma fenêtre sans parvenir à me décider. Sans parvenir à franchir le pas.
De ce côté-là, du moins, lui et moi nous nous ressemblons un peu.