Qu'on s'en fout de la banquise
A force de voir la banquise fondre comme neige au soleil (l’expression vient de lui tomber sous la plume comme la misère sur le pauvre peuple, les images les plus éculées ne sont pas pour lui déplaire, au contraire, surtout lorsqu’elles lui paraissent aussi justes et vraies, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple, etc.), il s’est senti soudain une fibre d’écologiste.
Tout de même, ne possédant pas de voiture, le tout en plein mois de juin, se chauffant peu donc, il se demande comment il pourrait rendre concrètement service à la planète. Manger cru? ou mi cuit? Eteindre les lumières? Déjà qu’il n’y voit goutte en plein jour... Bref, tout bien pesé, et sauf à cesser de respirer, il s’aperçoit qu’il pollue peu ou de façon très raisonnable.
C’est un matin, alors qu’il s’apprêtait à mettre une machine à laver “en route”, qu’il s’aperçoit à quel point il aurait pu tout aussi bien rester le salopard qu’il avait été jusque là. Après une rapide équation dans laquelle il fait entrer tant bien que mal le prix de l’eau, celui du kilowattheure, le volume de gaz carbonique produit par tout ça, il en arrive à élaborer une stratégie qui l’enchante.
Le même soir donc, il met son linge à tremper dans sa baignoire le tout à l’eau froide avec juste une pincée de lessive mais à peine. Il remue le tout avec le manche de son balai. Un peu d’huile de coude et la banquise cessera de suinter! Il se couche le cœur léger, rêve de pingouins et de baleines rieuses. Tout de même au milieu de la nuit, un doute l’assaille qui le tire du sommeil : à tremper ainsi toute la nuit, son linge ne risque-t-il pas de s’abîmer? Sans quitter son oreiller, il tente de se rassurer en faisant mentalement la liste des vêtements en question. Le doute subsiste.
Il cherche le sommeil. Il a une pensée pour les phoques et les dauphins. Toute cette atmosphère océanique le frigorifie, il se met à grelotter sous sa couverture.
Deux heures plus tard, n’y tenant plus, il va pour une rapide inspection. Stupeur : au lieu d’une eau jaunie, boueuse, crasseuse, son linge trempe dans une eau limpide, claire, comme puisée à la source. Ni une ni deux: il ramasse toutes ses guenilles, les flanque dans la machine à laver, programme bien costaud, il ne lésine plus, et vogue la banquise!