Hélas, je n'y connais rien
Je tiens donc à dire à ce mossieur : attention! aaattention!!
jamais de la vie
le blog à Depluloin
Un autre temps
A ceux qui comme moi ne supportent la campagne plus de vingt-quatre ou quarante-huit heures, ou ne la supportent qu’à la condition express d’y séjourner dans une vaste cuisine face à la cheminée, la cave pour ainsi dire à portée de main, sans oublier bien sûr, toujours à portée de main, quelques jeunes femmes joyeuses et peu farouches, je dédie ce billet...
La campagne, telle que nous la connaissons aujourd’hui, un désert sinistre où chaque arbre, chaque branche un tant soit peu solide, constituent autant d’occasions de se pendre, cette campagne fut il y a encore peu une joyeuse fourmilière dont on a du mal à imaginer l’activité.
Du temps où je pouvais passer quelques jours de vacances dans le Périgord, il m’arrivait d’aller promener aux forges de Savignac-Lédrier en Dordogne, forges du XVIIIe miraculeusement préservées - et restaurées depuis - puisqu’elles gardèrent une activité, certes réduite, jusque dans les années soixante. Quant à moi, je préférais tenter d’imaginer l’animation qui devait régner dans cet endroit devenu désert : les ouvriers, les ouvrières, les charretiers amenant le charbon de bois, emportant les clous et autres produits finis, les charbonniers qui peuplaient les collines de châtaigners, le bruit des marteaux-pilons, les ordres, les rires... Image d’Epinal sans doute, dissimulant bien des misères sûrement. Mais peut-être pas autant qu’on pourrait le croire.
Je n’aime pas les jardins. Plus que le parfum des fleurs, j’y respire plutôt le travail et la peine, les os brisés et la chair meurtrie. En outre, je ne m’y sens jamais à l’aise : une sorte de gêne me pousse régulièrement vers la sortie, un peu comme si je m’étais retrouvé par erreur au beau milieu d’un camp de nudistes.
Et pourtant j’en possède un de jardin mais un jardin à but lucratif, c’est ma seule excuse. Autrement dit il s’agit d’un jardin potager. La faim fait sortir le loup du bois et précipite le jardinier au potager. Plus exactement, un jardin potager en devenir. Puisque pour l’instant il ne s’agit que d’un terrain nu. Un beau terrain nu de bonne terre vierge.
Comme tous les débutants, j’ai immédiatement constaté que le sol se trouvait très exactement sous la semelle de mes souliers. C’est à dire, pour un homo erectus normalement constitué, hors de portée. Certains s’en aperçoivent plus tard, bien plus tard, lorsqu’il est déjà trop tard. Moi non. Au point que j’ai failli renoncer avant le premier coup de bêche. Un temps, j’ai pensé à la chasse et à la cueillette, autrement dit aller me servir directement chez mes voisins car alentour les potagers, clapiers, poulaillers abondent.
Un jardin potager soit, mais un jardinier droit, debout, un homme. Et puis courbé moi? jamais! et encore moins à genoux, devant un poireau qui plus est!
Des jours et de nuits durant, j’ai donc réfléchi, dressé des plans, j’adore les plans, ça ne mange pas de pain comme on dit les plans. M’inspirant de ces garagistes qui s’allongent sur une sorte de brancard à roulettes pour se glisser sous une voiture, je crus même avoir trouvé une solution aussi ingénieuse qu’honorable (même si elle consistait à se mettre à plat ventre devant mes rangs de navets, ce qui aurait été en contradiction flagrante avec la haute idée que je me venais de me faire l’instant d’avant de la dignité du jardinier.) Il s’agissait de faire courir dans les allées de mon potager le châssis d’un wagonnet sur lequel je puisse m’allonger face contre sol. Une ancienne mine abandonnée me fournirait le matériel idoine. Cependant je compris vite que la quantité d’aiguillages nécessaires pour couvrir le réseau de toutes mes allées me créerait plus de travail et de soucis que le confort escompté.
Puis me vint l’idée d’un pont roulant, le jardinier sanglé dans un harnais, muni d’une télécommande, survolant confortablement ses plantations. Les premiers devis me firent écarter cette solution pourtant astucieuse elle aussi.
J’allais renoncer lorsque le hasard voulut, oui il le voulut, que je regarde un soir un de ces innombrables documentaires sur la Grande Guerre. Dès le lendemain, mes plans dressés sur papier millimétré, je fis creuser un réseau de tranchées par une pelleteuse. A l’ouvrier perplexe, je fis croire à une reconstitution de la bataille de Verdun. Quelques barbelés ici ou là, et mon jardin potager était prêt. Les premiers jours, je ne me lassais pas de me promener dans ce dédale d’où je pouvais contempler pour ainsi dire droit dans les yeux mes futures plates-bandes.
Ne restait plus qu’à planter, repiquer. Le tout sans le moindre effort ou presque. C'est ce que je croyais.
(à suivre)
Ce texte imbécile n'est que prétexte pour rendre un hommage vibrant à l'œuvre de STÉPHANIE NAVA. Les quelques dessins reproduits ici ne donnent qu'une très faible idée de la monumentale installation CONSIDERING A PLOT (DIG FOR VICTORY) que l'on pouvait admirer à la Ferme du Buisson il y a deux ans maintenant. Depuis, Stéphanie Nava enchaîne les expositions à travers le monde.
Pour en savoir plus sur Stéphanie Nava.