Comment je suis devenu éthéromane (léger)
Tout a commencé par une ablation des amygdales. J’avais huit ans. « Ablation » pour éviter de parler d’une opération, j’imagine. Et en effet, la confiance régnant encore à cette époque, dans mon esprit cette ablation ne devait guère être plus déplaisante qu’une partie de plaisir chez le dentiste.
Me voilà donc dans une salle d’ablation, assis sur les genoux d’un sacré gaillard d’infirmier. D’emblée, cette sorte de familiarité m’a paru suspecte. Trop tard : gentiment mais fermement maintenu face au chirurgien, voilà qu’on me colle un masque sur le visage. L’odeur était bien connue en ce temps-là, elle empestait tous les couloirs de toutes les cliniques et hôpitaux du monde. Face à un public attentif – c’est fou ce qu’il pouvait y avoir de blouses blanches autour de moi à croire qu’il allait se passer quelque chose de chirurgicalement exceptionnel – je suivais docilement les instructions : je respirais bien à fond, une fois, deux , trois fois… Entre deux bouffées, je sentais le métal de l’ouvre-bouche me rentrer douloureusement dans le palais, les os de ma mâchoire prêts à céder. Je redoublais donc d’efforts, prêt à bouffer ce fichu masque pour faire cesser cette torture.
Ensuite rideau... étant fort à propos tombé dans le pommes. Puis réveillé par des « Dominique ! Dominique ! Il faut se réveiller mon garçon ! » J’ouvre un œil puis l’autre sur des visages bienveillants, avant que mon regard ne tombe sur la cuvette posée devant moi : ce que j’y ai vu alors, flottant dans un bain de sang aurait dû me faire tourner de l’œil. Etrange quand j’y repense de m’avoir laissé "ça" sous le nez…
Bref ! Fort donc de cette expérience, bien conscient à partir de ce jour des effets anesthésiants de l’éther, je fis par la suite plusieurs fois appel à ses vertus, de moi seul connues pensais-je, pour des interventions graves seulement telles que épines d’oursins dans le pied, échardes, coup de marteau sur les doigts, etc. Jusqu’à ce que ma mère, alertée par une trop forte odeur d’éther (même si celui-ci, avant d’être interdit à la vente, était couramment utilisé dans les familles pour soigner les bobos), finisse par mettre le holà.
Je ne me souviens pas avoir subi les conséquences pénibles d’un sevrage aussi brutal, ces fameux "manques". Pour la bonne raison sans doute que je découvris peu après les vertus toutes aussi bénéfiques d’autres produits, tel le vin de porto par exemple qu’un soir je bus en abondance tandis que mes parents finissaient de dîner avec leurs invités. Quand j’y pense c’est fou ce que ces gens pouvaient gaspiller tout de même : un tel régal de rois, de ce délicieux velours sucré laissé en abondance au fond de leur melon au porto.
Ma réputation? Excellente, pourquoi?