Ma mère faisait tout à la perfection ou avec une grande application – avec moi, elle aurait pu s’appliquer un peu plus, comme avec mes frères et sœurs d’ailleurs, qui sont complètement ratés eux. Elle montait à cheval, jouait au tennis, mais tous les éléments ne lui convenaient pas. L’eau principalement. Elle nageait moyennement bien et la nage indienne exclusivement.
Jusque là, c’est passionnant.
Quand j’étais enfant, la nage indienne était déjà obsolète. C’était même une nage fossile en quelque sorte. Ma mère nageait donc peu. Quand on habite à cinquante mètres de la mer, c’est bien dommage (d’autant qu’elle était d’origine marseillaise mais tout le monde sait que les marseillais ne nagent pas, il n’en ont pas le temps). Mais lorsqu’une fois par semaine nous allions pique-niquer avec des amis sur un îlot au large du cap de Garde. Au large, pas tant, puisqu’il ne fallait nager qu’une trentaine de mètres seulement pour l’atteindre. Ah j’oubliais, tout ceci se passait en Algérie (française). Je précise parce qu’en ce temps-là les fonds rocheux étaient sublimes avec des quantités d’algues, de coraux, des myriades de poissons, une merveille qu’on ne voit plus de nos jours qu’au cinéma mais qui me terrorisait moi quand je regardais sous l’eau et donc je ne regardais pas sous l’eau plutôt crever.
Bref, lorsque c’était au tour de ma mère de se lancer à l’eau, je m’efforçais de regarder ailleurs sans y parvenir vraiment. Les compliments sur la grâce de ma maman en pleine action et la beauté de cette nage antique, fusaient alors de toute part, mais de mon côté je me demandais s’il n’y avait pas quelque ironie derrière ces éloges, et ma réponse était oui.
Quant à mon papa tout blanc, il travaillait lui, il se lançait dans une brasse tout à fait académique mais fort poussive, il avançait peu ou ça ne se voyait pas à l’œil nu, et je ne respirais qu’une fois qu’il avait enfin atteint la rive. Il fallait compter un bon quart d’heure de traversée. Un quart d’heure, c’est long sans respirer.
(J'espère que la signature est lisible puisque j'ai laissé les références de cette œuvre à la maison... euh... ce célèbre peintre mexicain... j'ai son nom sur le bout de la langue... Oh et puis flûte! Demain, je vous en dis tout sur cette toile.)