Le grenier
Hier, ou plutôt avant-hier, à propos de la vente de "mon" squelette, j'évoquai ces objets que l'on a trop vus et dont on se débarrassait autrefois en les remisant au grenier. Il n'y a plus de greniers aujourd'hui, ou si peu. Au mieux, ils ont été remplacés par les caves ou les garages.
Le grenier de mes grands-parents dans les Pyrénées recelait des trésors, notamment un superbe vélocipède. Superbe n'est pas le mot puisqu'il était rouillé jusqu'à l'os et la grande roue, à l'avant, était visiblement, quoique légèrement, voilée. Heureusement, ce monstre n'était pas entreposé dans le grenier de la maison mais dans celui d'une des remises. Ce qui nous avait permis, à mon petit frère et à moi, de le descendre dans la cour arrière en toute discrétion car il nous était interdit de fouiller dans les greniers sans doute parce qu'ils devaient receler des secrets qui n'étaient pas pour les enfants mais surtout parce qu'on les laissait souvent en grand désordre.
Vélocipède à vapeur fonctionnant à l'alcool (années 1870)
Pour le vélocipède donc, j'avais dû me résoudre à mettre mon petit frère à contribution, l'engin étant peu maniable dans l'escalier en bois de la remise mais surtout pour le dénoncer au cas où nous nous serions faits prendre. C'est d'ailleurs lui qui eut l'honneur d'essayer en premier le vélo. Un fois au grand jour en effet, je lui découvris d'autres faiblesses que la rouille, des rayons manquants ici ou là, une pédale cassée, bref la prudence exigeait que mon petit frère fasse office de pilote d'essai.
Avec mon aide, il ne s'en tira pas trop mal. Après avoir un peu résisté, l'ensemble se mit à rouler en grinçant autour de la cour. Je décidai donc de délivrer mon petit frère, lequel n'avait cessé de hurler de terreur, et de me lancer à mon tour. Je ne me souviens plus quel élément céda le premier, je pense que c'est tout l'ensemble d'un seul coup d'un seul : le pédalier et avec lui une partie de la fourche avant, la barre centrale qui supportait la selle et reliait l'ensemble à la petite roue arrière.
Mon petit frère se mit à courir vers la maison en hurlant. Quelle lâcheté! De mon côté, aucune blessure grave ne mettant ma vie immédiatement en danger, je me dépêchai d'aller ranger le vélocipède à sa place. Ce qui fut fait en un rien de temps puisqu'il était maintenant en pièces détachées. Habilement, je lui redonnai le même aspect abandonné entre un vieux sommier et une caisse de la Revue des deux Mondes. A ma connaissance, personne ne sut jamais rien de ses derniers instants.