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10 avril 2010 6 10 /04 /avril /2010 17:44

Le grenier

 

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        Hier, ou plutôt avant-hier, à propos de la vente de "mon" squelette, j'évoquai ces objets que l'on a trop vus et dont on se débarrassait autrefois en les remisant au grenier. Il n'y a plus de greniers aujourd'hui, ou si peu.  Au mieux, ils ont été remplacés par les caves ou les garages.

       Le grenier de mes grands-parents dans les Pyrénées recelait des trésors, notamment un superbe vélocipède. Superbe n'est pas le mot puisqu'il était rouillé jusqu'à l'os et la grande roue, à l'avant, était visiblement, quoique légèrement, voilée. Heureusement, ce monstre n'était pas entreposé dans le grenier de la maison mais dans celui d'une des remises. Ce qui nous avait permis, à mon petit frère et à moi, de le descendre dans la cour arrière en toute discrétion car il nous était interdit de fouiller dans les greniers sans doute parce qu'ils devaient receler des secrets qui n'étaient pas pour les enfants mais surtout parce qu'on les laissait souvent en grand désordre.

 

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Vélocipède à vapeur fonctionnant à l'alcool (années 1870)


     Pour le vélocipède donc, j'avais dû me résoudre à mettre mon petit frère à contribution, l'engin étant peu maniable dans l'escalier en bois de la remise mais surtout pour le dénoncer au cas où nous nous serions faits prendre. C'est d'ailleurs lui qui eut l'honneur d'essayer en premier le vélo. Un fois au grand jour en effet, je lui découvris d'autres faiblesses que la rouille, des rayons manquants ici ou là, une pédale cassée, bref la prudence exigeait que mon petit frère fasse office de pilote d'essai.

      Avec mon aide, il ne s'en tira pas trop mal. Après avoir un peu résisté, l'ensemble se mit à rouler en grinçant autour de la cour. Je décidai donc de délivrer mon petit frère, lequel n'avait cessé de hurler de terreur, et de me lancer à mon tour. Je ne me souviens plus quel élément céda le premier, je pense que c'est tout l'ensemble d'un seul coup d'un seul : le pédalier et avec lui une partie de la fourche avant, la barre centrale qui supportait la selle et reliait l'ensemble à la petite roue arrière. 

 

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      Mon petit frère se mit à courir vers la maison en hurlant. Quelle lâcheté! De mon côté, aucune blessure grave ne mettant ma vie immédiatement en danger, je me dépêchai d'aller ranger le vélocipède à sa place. Ce qui fut fait en un rien de temps puisqu'il était maintenant en pièces détachées. Habilement, je lui redonnai le même aspect abandonné entre un vieux sommier et une caisse de la Revue des deux Mondes.  A ma connaissance, personne ne sut jamais rien de ses derniers instants.

 

 


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9 avril 2010 5 09 /04 /avril /2010 18:29

vendredi 9 avril 2010

 

JOURNAL 3475

 

 

11h30 (environ) : Aujourd'hui, faute de mieux, je décide d'attendre le soir.


11h47 (précise) : Aujourd'hui, je suis photographe et décide d'attendre la belle lumière du soir. (Voilà qui justifie on ne peut mieux cette attente du soir. La culpabilité a horreur du vide.)


18h30 : Ecriture du présent billet. Infichu de retrouver mes belles photos de couchers de soleil. Pourtant pas ce qui manque. Comme tout amateur qui vient de s'acheter un nouvel appareil, je n'ai jamais dérogé à la règle qui exige du photographe nouvellement équipé de se précipiter sur le premier coucher de soleil venu.


 

 

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8 avril 2010 4 08 /04 /avril /2010 17:15

jeudi 8 avril 2010

 

bd 1285

 

09h23 : Ce matin, j'ai enfin trouvé mon œuf de Pâques!! Dans leur immense bonté, et sans doute pour m'éviter des complexes vis à vis de mes frères et sœurs, mes parents avaient fait confectionner cet œuf posé sur un support en osier tressé, sûrement pour que je le remarque mieux parmi les herbes. Sauf que ce matin, il était vide, qu'il y manquait les petits œufs en chocolat qui le garnissaient d'habitude.(Bon à savoir pour l'année prochaine.)

11h30 : J'ai vendu mon squelette. Mon acheteur s'est présenté à l'heure convenue et l'a pris sous le bras sans demander son reste. Pas même eu le temps de l'embrasser (mon squelette) ou de crier Au voleur. Et surtout de lui donner le petit sac contenant les quelques effets de rechange que je lui avais préparés. Pas même eu le courage de lui dire adieu par la fenêtre.

12h00 : Brève tentative de masturbation. Mais le cœur et le reste n'y sont pas.

13h45 : Sieste et désespoir.


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15h06 : Recherches plus que superficielles sur la vie et l'œuvre de Madame RICCOBINI. (La notice, annoncée en page de titre du premier volume, sur la vie et l'œuvre de l'auteur n'ayant pu être livrée à temps (sic!), elle ne figure finalement pas dans ces œuvres complètes. Wikipédia en parle suffisamment.) Tentative ratée donc pour trouver à ce livre un intérêt quelconque, bien que dans le jargon imagé des libraires il ait toujours été considéré comme une "panne" - puisque restant en panne sur leurs rayons.

 


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7 avril 2010 3 07 /04 /avril /2010 17:24

Suite...

 

 

Brebel 4828 1 - copie

 

 

         Dehors, non loin de l’aventure, c’était la rue. Je l’empruntai donc. Nous connûmes un frisson à cet instant, nous frissonnons toujours à l’orée des rues. J’aime me parler au pluriel, ça me donne l’impression rassurante d’être à plusieurs, une armée presque. Une armée à mes côtés, c’est au moins ce qu’il me faut pour risquer un pied dehors. Ma rue en amena une autre, il en va ainsi des rues de mener à d’autres, de constituer avec les immeubles des pâtés, puis des quartiers, une ville pour finir. Certaines débouchent sur des boulevards ou des avenues, on dit alors que cela vous ouvre des horizons. Au-delà, c’est la banlieue, puis la campagne où l’on respire enfin. Pourtant, j’évite soigneusement ces contrées plus ou moins boueuses et malodorantes où je ne fais que creuser des trous. Une déplorable manie qui me vient de l’enfance où je passais mon temps à enterrer tout ce qui me tombait sous la main : chiens, chats, crapauds, hérissons, bicyclettes, trottinettes, et même mon petit frère, ce dernier enterrement m’ayant valu bien des remontrances de la part de mes parents. Il était d’accord, lui, pourtant.

 

         Pour le moment, ma rue. Muni de notre armée de nous-mêmes, notre légion, nous nous y risquons. Toutes les rues ont un côté gauche ou droit, tout dépend du point de vue. Du mien, je marchais du côté gauche. Toutes les rues ont aussi un bon côté signalé par les commerçants qui y accumulent leurs boutiques au soleil où ils se font une place. Je n’aime pas le bon côté des commerçants. Je vais presque toujours de ce côté où ça coûte peu cher, là où cela se vend mal voire pas du tout.

 

         Une déclaration peut-être? Décidément non. Plus tard peut-être. Je ne suis pas inquiet, ça viendra les déclarations. Il n’est pas rare que je m’en fasse une à deux par jour, plus ou moins solennelles, c’est une moyenne. Soudain, je me sens bien seul à cheminer ainsi. A tous les coups, mon armée personnelle qui a dû me déserter. J’ai l’habitude de ces désertions en masse. A peine tourné le coin de la rue, mes soudards détalent régulièrement, soit qu’ils flairent le danger bien avant moi, soit qu’ils aient une confiance limitée, tous ces frêles moi-mêmes, en ce général sans étoiles ni panache qui marche à leur tête. Et moi donc. 

 

         Je me dis : tiens, je pourrais en profiter pour faire mes courses. Ça m’arrive parfois. Pour faire l’intéressant j’entre chez un commerçant, par exemple un boucher, et lui demande tout de go un cœur de bœuf ou un collier d’agneau, comme ça au hasard, pour faire celui qui sait mitonner. J’en prends toujours pour deux, histoire de faire moins seul, parfois pour huit lorsque je reçois. Je ne reçois jamais mais il est important que le boucher le croie. Je ne sais trop pourquoi mais je tiens à ce que le commerçant m’imagine marié ou en concubinage notoire, un peu mondain aussi. Parfois dans mes bons jours je rajoute: Et trois tranches de jambon pour les enfants! Ça fait famille et me confère aussitôt le statut de père, tout en m’assurant les sandwichs de la semaine. Mais cela, le boucher, crétin de commerçant en plein soleil, l’ignore. L’important est qu’il reste persuadé que je cuisine divinement bien certains abats ou bas morceaux pour mes nombreux amis tandis que mes enfants mangeront du jambon-purée, ce qui, dans ce milieu très fermé de la boucherie-charcuterie-volaillerie, vous confère une certaine aura. Qu’est-ce que je raconte.

 

         Tout de même, ces quelques jours à essayer d’ouvrir ma porte me posent question. Simple coup de fatigue peut-être ou alors une de mes fréquentes distractions qui m’aurait fait oublié que j’ai déménagé depuis peu et habite actuellement un autre appartement dont je possède la bonne clef? Je ne crois pas. Sincèrement, ça m’étonnerait. Je vais penser à autre chose. M’intéresser à la rue par exemple. Celle-ci n'a pas grand intérêt mais en cherchant bien, un accident de la circulation par exemple, un décès, un incendie, un attentat, elle finira peut-être par devenir passionnante. En attendant une quelconque catastrophe, je vais compter les dalles de granit qui pavent le trottoir. De loin on imaginera un homme perdu dans ses graves pensées, ça me posera là.

 

 

 

        

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6 avril 2010 2 06 /04 /avril /2010 19:12

Inauguration et grandes pompes

 

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(On m'en a fait plusieurs fois la remarque : tout l'art du blog réside dans la brièveté du billet. J'inaugure donc aujourd'hui une nouvelle catégorie : mon journal.)

 

 

18h37 : Le lacet de ma chaussure gauche a fini par céder. Heureusement, j'en ai toujours une paire de réserve.

 

 

 

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5 avril 2010 1 05 /04 /avril /2010 17:34

Petite contribution


      Comme disent les journalistes, les récentes affaires de prêtres pédophiles n'en finissent pas de ternir l'image de l'Eglise. Comme c'est bien dit. A les entendre, le "public", mais sûrement pas les catholiques, serait en train de découvrir l'eau tiède. Il (le public) tomberait des nues.

      Les catholiques avertis, les historiens, les historiens catholiques à fortiori, savent parfaitement que l'Eglise, telle que la souhaiterait le Pape Benoit XVI, avec ses évêques, prêtres, religieux, chastes et célibataires, cette Eglise-là n'a pris de figure à peu près honorable qu'au XIXème siècle.

      En témoignent ces vitraux et peintures - parmi bien d'autres :

 

vitrail

Vitrail de l'église de l'Institut X en Lorraine

 

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"Après la visite de Monsieur le curé". Jacob Jordaens (1593-1678)

 

Plus sérieusement...


 

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      Pour ceux qui souhaiteraient approfondir leur connaissance de l'histoire de l'Eglise ce livre, que Michel Foucault aurait sans doute signé des deux mains, est une mine aussi savante que savoureuse sur la vie et les mœurs (pas seulement homosexuels) de l'Eglise au cours des premiers siècles - jusqu'au XIVème plus exactement.


     Cependant, pour ma part, même si le viol du corps constitue bien un crime, celui de l'esprit, rarement évoqué, l'est tout autant. Les dégâts occasionnés sont incalculables, surtout sur des générations qui n'ont pas eu la chance de connaître des contre-pensées  salvatrices comme il en existe de nos jours.

    Il existe un pays d'Europe du nord, je ne sais plus lequel, qui accorde le droit à ses jeunes citoyens de porter plainte devant les tribunaux contre leurs parents. Voilà une loi qui, si elle se généralisait, pourrait bien ruiner pour de bon l'Eglise catholique. Ce qu'à Dieu ne plaise.


 

 

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3 avril 2010 6 03 /04 /avril /2010 18:21

Passion

 

PAQUEBOT 1267

 

         Malgré une abondante documentation rassemblée à grands frais, il ne parvenait pas à se souvenir de ce paquebot qui l’avait emporté loin de chez lui. Ce n’était pourtant qu’un retour au pays. Rien que de plus normal au fond. Mais sur ses vieux jours, il s’était soudain avisé que ce retour n’avait été qu’un aller simple ou plutôt un retour simple, et qu’en conséquence on l’avait trompé. Une main l’avait accompagné, l’autre l’avait abandonné. C’est ainsi qu’il voyait les choses aujourd’hui. A présent, il se demande si son âge lui permettrait d’accomplir ce retour au pays après cet exil forcé. A présent, il sait que ce pays qui est le sien, ne l’a jamais vraiment été. Et qu’au contraire des émigrants fuyant le leur pour le Nouveau Monde, il n’avait posé les pieds que sur une vieille terre épuisée qui ne lui avait jamais rien offert de beau, de grand, de vaste, qu’elle lui avait plus sûrement transmis son épuisement et, sans doute, aussi, sa fin.

         En quoi la silhouette familière de ce paquebot pourrait-elle l’aider à refaire le chemin? L’y encourager? Il y a beau temps qu’il avait dû finir à la ferraille, et pourtant...

 

PAQUEBOT 1270

         Et pourtant, peu à peu, les noms lui revenaient : il hésitait maintenant entre le “Ville de Marseille” et le “Ville de Oran”. Il était bien jeune, et ces navires se ressemblaient, d’autant que les traversées, elles furent nombreuses, se ressemblaient aussi terriblement, plongé comme il l’était dans une sorte de coma nauséeux, tous malades comme des chiens à la moindre houle. Ils tenaient cela de leur mère, fragile du foie à ce qu’elle prétendait.

         Il se souvient d’avoir été réveillé par sa gouvernante un matin. “Nous sommes à Marseille!” En regardant par le hublot, il s’était soudain trouvé  nez à nez avec un énorme pneu suspendu au quai, qui se rapprochait dangereusement, trop rapidement lui sembla-t-il, droit sur lui, au point qu’il recula effrayé...

         Lorsqu’il est las d’examiner les cheminées, les coursives, ou de recompter les chaloupes, il se rabat sur des visages. Ceux des officiers ou des voyageurs. Peut-être l’un d’eux lui apparaîtrait soudain comme familier?


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         Parfois, ses papiers acquis un peu trop vite le ramènent brusquement deux ou siècles en arrière, trop tôt donc. Jusqu’au temps des galères pour un peu! Peu importe, il s’y intéresse tout de même sans trop en comprendre la raison.

 

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         Il ne dispose d’aucune documentation sur les avions de l’époque. Cette lacune lui parait stupéfiante quand il songe que ce dernier voyage, ce retour simple, il l’a peut-être effectué par les airs. Il en était maintenant à peu près certain. A défaut il énumérait mentalement les différents types d’appareils qu’il avait connus “DC4”, “Superconstellation”, “ Breguet deux-ponts”, “Caravelle”...

         Le Breguet “Deux-Ponts” avait sa préférence. Vu de l’extérieur, l’avion  était trapu, ventru, massif, plus rassurant donc, plus curieux aussi. A l’intérieur, un petit escalier permettait d’aller vomir à l’étage inférieur. Occasion de se promener un peu. Les “trous” d’air y étaient tout aussi interminables que sur les autres appareils à hélices, l’air empestait tout autant l’essence, mais il en gardait un meilleur souvenir, Dieu sait pourquoi.

(à suivre)

 


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2 avril 2010 5 02 /04 /avril /2010 18:05

Joyeuses Pâques

 

 

JOYEUSES-PAQUES 1260

"Retour au pays" P. Jazet. 1885

 

       Avant tout, j'aimerais rendre ici un vibrant hommage au peintre Klück Klamynch dont l'œuvre est aujourd'hui enfin reconnue. Après avoir été marin pêcheur puis chasseur d'ours en Afrique, cet artiste flamboyant et multicordes à son arc se consacra jusqu'à la fin de sa vie à la peinture. On peut le voir ici poser complaisamment pour son ami et collègue Pierre Jazet dans cette célèbre composition "Retour au pays" (1885).

 

 

Petit conte de Noël

 

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Note de l'auteur : Malgré des recherches approfondies, je n'ai pas trouvé de contes de Pâques. Je vous prie de m'en excuser. D'autre part, en ces saints jours, j'ai pensé qu'il serait charitable de ma part de présenter un texte court et assez facile à déchiffrer. Certains artistes peintres, que je ne nommerai pas, ont en effet le plus grand mal, malgré leur immense talent, à lire plus de quatorze lignes sans tourner de l'œil. A eux, je dédie ce billet.


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31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 18:30

Suite...

 

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(Une des rares, sinon l'unique, photos sur laquelle Lara & Larron figurent ensemble.)

 

 

         Suite à cette incertitude, en quelque sorte fondatrice, de savoir si c’est elle qui m’a suivi ce fameux premier soir ou bien moi, il m’arrive de ne plus savoir très bien non plus où nous habitons. (Incertitude renforcée par l’une de mes politesses qui m’a fait lui dire dès le lendemain : “Surtout faites comme chez vous!” Et elle l’a si bien fait de faire comme chez elle, avec tant de naturel, que depuis c’est à moi de m’efforcer de faire comme chez moi, au point que j’aurais plus vite fait de faire comme chez elle, ce qui est d’ailleurs le cas.)

         Mais quand le doute devient trop fort, lorsque je m’y perds un peu trop dans les chez moi, les chez nous, ou les chez elle, c’est plus fort que moi il faut que je lui demande : Sais-tu au moins où nous habitons? Ou bien : C’est bien ici chez nous? Elle répond invariablement, ainsi d’ailleurs qu’à la plupart de mes autres questions : Je n’en sais rien vraiment, tu n’as qu’à aller demander aux voisins.

         Des voisins? J’aurais des voisins? Quelle joie.

         Les voisins, je n’ose plus trop les déranger avec mes questions du genre : Quel âge vous me donnez? Et elle, l’autre là, ma Clara-Fabiola, combien ça doit lui faire à peu près? Et son petit nom en avez-vous idée? Et notre adresse exacte, non? Et son sexe? quelle sorte de sexe lui donnez-vous? Et pour ce qui est du mien? En général, à force, ils m’écrivent tout ça sur un papier que je m’empresse d’aller lire à ma, à l’autre là. Pour une fois vous avez presque tout bon, me dit-elle alors, sauf pour mon prénom et mon âge. Je vous donne huit sur dix. (Huit sur dix fut l’une de mes meilleures notes, je ne crois pas en avoir obtenu de meilleures depuis.)

         A propos de faire comme chez elle, j’aurais bien tort de lui en vouloir car c’est elle qui m’a fait découvrir que ma maison comportait un étage où elle a installé ses quartiers, c’est à dire, principalement, son bureau dont les deux fenêtres donnent sur le jardin. Un joli jardin, assez mal entretenu hélas et pour cause, j’ignorais qu’il fut à moi. Que ce premier étage m’ait échappé si longtemps alors que je grimpe au moins trois fois la semaine au grenier étendre mon linge reste un mystère. (De même que ce jardin que je prenais jusque là pour un terrain vague où j’allais discrètement déposer mes ordures la nuit venue.)

         Du coup, histoire de ne pas passer pour un demeuré, je me suis mis à explorer ma maison de fond en comble pour vérifier si par hasard il ne s’y cachait pas un deuxième étage perdu entre le premier et le grenier, ou encore une cave, ou toute autre pièce, terrasse, balcon, véranda, qui m’auraient échappés. Après m’être perdu cent fois dans les couloirs, je ne trouvai rien que je ne connaisse déjà à part ces couloirs. J’étais sur le point de renoncer lorsque j’eus l’idée de monter sur le toit, à la recherche de quelque lucarne j’imagine, qui m’aurait mis sur la voie d’une pièce secrète, indétectable sauf par ce moyen-là, quelle idée, toit d’où je tombai presque aussitôt, après avoir eu le temps cependant de constater qu’il était couvert de tuiles, probablement imperméables, ainsi que la présence d’une souche de cheminée et d’une antenne de télévision. Pour le point de vue, il me faudra y revenir plus tard, n’ayant guère eu le temps de l’apprécier, ou alors très fugitivement, dans une sorte de basculement.

         Mais enfin, cette expédition me permit d’annoncer fièrement à ma Lara : Clara, bonne nouvelle, nous avons un toit au-dessus de la tête et aussi très probablement quelque part dans la maison une cheminée où nous pourrons faire du feu l’hiver, ainsi qu’un poste de télévision que nous devrions trouver facilement en suivant le fil. Ce fut une trop longue phrase et, perdue dans sa lecture, je ne pense pas qu’elle l’entendit jusqu’au bout, ni même à son début. Ça m’apprendra à la déranger. Toujours est-il qu’elle m’a fait gagner un étage, et donc en surface, c’est déjà quelque chose.

 

 

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30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 17:17

Les sentiers de la création

 

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    "Je me résume.

    Je me vois prendre conscience du monde avec étonnement.

   Au début, le monde m'avait plongé dans la stupéfaction: je regardais, "qu'est-ce que tout cela?"

    Puis je me réveillais de ma stupeur : "Qui étais-je?" et ce fut une stupeur nouvelle de me regarder moi-même.

    J'étais trop plein de ce monde, trop plein de ce moi: je n'ai pas pu le dire, le crier. A qui? Comme à moi-même, pour moi-même. Cette question est solitaire, posée au désert.

    Ce fut le début de ma littérature: une solitude absolue qui interroge. Enfin, à "qu'est-ce que tout cela?", puis au "qui suis-je?", s'ajouta le "pourquoi suis-je là, entouré de tout cela?"  ... /....

 

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"une faculté d'étonnement qui fait que je peux sortir de ce tourbillon et me réinstaller à ma vraie place, dans l'immobilité."

 

    ... /...  Je me vois voulant saisir le monde. Plus je crois le saisir, plus il m'échappe. Ce n'est jamais assez. Je suis d'une avidité insatiable. A tel point que je suis épuisé par les désirs et les festins, et d'être trop comblé, plein et vide à la fois, que je tombe, j'en crève. Tant d'avoirs m'appauvrissent, me ruinent. A tellement courir après tout, je n'ai plus rien, je ne suis plus. Des ombres évanescentes ou, au contraire, des masses lourdes impénétrables, une passion, une fureur dévorantes me dévorent, moi, le vorace qui n'ai plus que moi. Je ne vois plus les êtres. Je ne vois plus l'être."

 

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"Je fis un nouveau partage du monde"

 

Texte et illustrations d'Eugène Ionesco.

 


    Cette collection, "Les sentiers de la création" constitue à coup sûr l'une des plus belles réussites d'Albert Skira, ce qui n'est pas peu dire. La liste des auteurs s'étant prêtés à l'exercice ferait rêver bien des éditeurs aujourd'hui. La totalité des textes (Aragon, Butor, Char, Barthes, Leiris, Michaux, Simon, Starobinski, Robbe-Grillet) sont en effet inédits et composés pour cette collection. Si vous avez la chance d'en trouver un à bas prix, n'hésitez pas!

 

 


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