Le "vieux".
Il a trente ans, vieux guerrier déjà.
Douze ans déjà qu’il évite les balles. Qu’elles l’évitent. Une chance dont il sait le fin mot.
Il était là avant. Bien avant et pour toujours.
Sa tête pleine de fracas qu’il tait. Son silence, une bataille sans fin.
Ses yeux clairs qui voient rouge.
De lui ils ne disent plus l’Ancien mais le Vieux.
Ces regards qui lui demandent sans cesse s’ils vont vivre encore.
Car il connaît aussi ce secret : qui de ses hommes vont vivre ou mourir.
Depuis qu’il a tué, il tue. Il délivre les mourants et achève les blessés.
Droit de vie, devoir de mort.
Ces cigarettes allumées glissées entre les lèvres blanches, amies ou ennemies.
Depuis longtemps, depuis toujours, le sang a la couleur de la boue.
Il n’a pas défait son sac. Il n’est jamais retourné chez lui. Sachant que ses fantômes l’y auraient suivi, que certains l’y attendaient. Pour trouver la paix des étoiles il n’a pour lui que son ciel de fureur. Ne le quittera plus désormais.
Il est vieux, n’a plus d’âge. Là bien avant.
Il sait qu’un autre guerrier est né ailleurs. Son frère, son assassin.
Il sait qu’un jour il sera fatigué. Il ne courra plus, allongeant simplement le pas.
Et qu’alors il sera libre, superbe et magnifique.
Demain peut-être, ou cette nuit, il ne se jettera plus à l’abri des ombres. Il oubliera de se baisser. Il avancera à peine courbé. La tête relevée.
Il sait comment tombent les morts. Il sait lorsqu’elle a frappé. Un tas de chiffons s’effondre, s’essouffle, dégonflé.
Il sait qu’alors un autre le couchera dans le repos. Qu’il lui soulèvera la tête pour la poser sur son sac. Un autre fermera ses yeux aveugles.
Son âme par ses lèvres grises, majestueuse, secrète.
Soleil est mort. Soleil est mort.